Viens, viens, viens… qui que tu sois, viens !
Viens aussi, que tu sois infidèle, idolâtre ou païen,
Notre monastère n’est pas un lieu de désespoir ;
Même si cent fois tu es revenu sur ton serment, viens !

~ Rumi

 

Comment cela a-t-il commencé pour moi ? Cet intérêt profond de comprendre le sens de la vie. Cet amour de la vérité. Cette quête spirituelle. Quel a été son berceau premier, dans quel sol fertile a-t-elle pu s’épanouir ? Je me rappelle à quel point mon désir de changement était profond quand j’étais jeune homme. Ce n’était que ça à l’époque. Un pur et immense désir de changer, d’être différent, voilà. J’étais malheureux, insatisfait. Sûrement, ce fut la première graine, la cause initiale de ce cheminement. Par quel chemin parvenir à ce changement en moi, je n’en savais rien. J’ai dû tâtonner, à travers quelques livres de fortune, en quelques lieux exotiques. À l’exception d’une intuition pourtant, que la vie devait être davantage qu’une simple quête du bonheur au travers des acquisitions, ou de quelques changements sur la personne que j’étais alors. Autrement j’aurais travaillé plus durement à les obtenir. Au lieu de cela, je me suis tourné vers une sorte d’appel spirituel, ne sachant rien de ce que c’était. Je me suis engouffré dans un tunnel d’inconnaissance.

Cela se produit encore aujourd’hui, la tristesse alimentant le désir, ou devrais-je dire la nécessité, d’une quête. Bien sûr, je suis maintenant plus qualifié sur le sujet, sur la direction et la nature de cette quête. Au moins ai-je une idée de là où il ne faut pas chercher. Avec l’aide de tant de livres et de guides, ma compréhension a gagné en subtilité et j’ai pu, en quelques brefs moments, avoir un avant-goût de ma véritable nature. Mais où suis-je, réellement? Nisargadatta disait : “Tant que vous n’aurez pas réalisé le caractère insatisfaisant, transitoire et limité de toute chose, et que vous n’aurez pas rassemblé vos énergies dans un grand désir unique, vous n’aurez pas même fait le premier pas.

Et si la souffrance était le plus beau cadeau qui m’ait été offert. Passer mon temps à la repousser, à la haïr, ne fera que la renforcer, donnant toute l’importance au petit ‘moi’. Donc, le cadeau est là, devant moi, et au lieu de le rejeter, en discutant de sa forme, de la couleur du papier d’emballage, de ce que je sais déjà qu’il contient, je suis juste curieux, l’ouvrant soigneusement pour découvrir ce que c’est, ce qu’il peut contenir, en être fébrile d’excitation, comme à chaque fois que l’on reçoit un présent. Être humble. Le jour viendra où je dirai merci pour toutes les souffrances que j’ai traversées, pour tous les pièges dans lesquels je suis tombé. Car c’est grâce à eux que je suis maintenant en mesure de dire : c’est assez. Non pas que je suis parvenu à comprendre et vivre la plénitude de la vie, mais au moins ai-je accepté et acquis une tendresse pour tout cela, et dans ce processus, trouvé l’ami le plus précieux et le plus intéressant qui soit, dont je dois m’occuper et prendre soin et comprendre – non pas mépriser : moi-même.

Cela m’a frappé l’autre jour. Le mot aspiration m’est apparu être un des plus beaux de la langue française. Je n’y avais jamais vraiment prêté attention jusqu’à présent. Pourtant il renferme de la douceur, de la réserve et d’infimes subtilités. Il évoque un besoin, une envie, un désir particulier pour quelque chose. Non pas ce désir immodéré ou obsédant, mais le sentiment patient et puissant de vouloir quelque chose que nous sentons très précieux et signifiant pour nous, mais qui reste paradoxalement inconnu ou mystérieux. Il apporte aussi un sentiment profond et durable de confiance, de paix, quand bien même ne pourrions-nous jamais connaître l’objet de notre aspiration. L’acte même d’aspirer à quelque chose semble avoir sa propre récompense, sa propre qualité de constance et de délicatesse. L’aspiration ne se projette pas comme l’attente le ferait, avec sa tension particulière, et n’attend donc pas que quelque chose se produise dans le futur. Elle ressemble plutôt à un seuil, œuvrant pour le moment présent, et l’atteignant déjà. Elle suscite une ouverture, une disposition à accueillir tout ce qui est déjà ici dans notre cœur. Son existence même semble affirmer qu’elle est déjà sur le point de trouver sa résolution, profondément. C’est ce qui rend ce sentiment si précieux et recherché.

Mais attention, l’aspiration apporte également sa propre douleur, à la signification très subtile. En son cœur, ce chagrin est l’expression d’une impossibilité. Le petit moi-souffrant, en tant qu’entité séparée de l’expérience, ne peut jamais obtenir la paix et le bonheur qu’il demande en les recherchant dans le champ des objets. L’aspiration véritable, si elle veut jamais trouver satisfaction, n’est jamais pour un objet. Voilà la ‘mère’ de toutes les souffrances. Là réside la tristesse, notre tristesse, mais là se trouve aussi notre joie, notre paix, qui se trouvent aussi là, secrètement.

La souffrance est toujours, comme dans l’histoire d’Eckhart Tolle, ce mendiant qui quémande à un homme supposé plus riche. Comme nous considérons être séparés du monde, nous jugeons que notre situation actuelle est responsable de notre souffrance, et allons donc en réclamer une qui soit meilleure, recherchant toujours des circonstances plus favorables, oubliant par là même que nous sommes assis sur un coffre rempli d’or. La souffrance est un don précieux, elle est au cœur de toute quête. En elle se cache un grand secret. Non pas quelque chose que nous obtenons quand nous nous éloignons de la douleur et partons, fuyons à la recherche d’un avenir meilleur, mais quelque chose qui est au cœur même de la souffrance. Peu importe si notre peine est vive ou légère, elle peut n’être qu’une envie subtile de vivre autre chose. Le moindre malaise est une souffrance assez grande quand vous visez rien moins que de vivre dans la paix et le bonheur. Jean Klein a souligné: “Douleur, souffrance, chagrin, ont pour arrière-plan la plénitude, et quand ils sont examinés avec une attention détachée, ils ne peuvent subsister et se dissolvent dans leur source qui est parfaite félicité. … Ainsi, nous pourrions dire que la souffrance mène à la joie.

 

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La récolte de ma douleur était sa propre paix et son remède.
Aussi bas que j’avais sombré, je me relevai, la foi intacte après le blasphème.
Le corps, le cœur et l’âme ont obscurci le chemin, jusqu’à ce que
Le corps se fonde dans le cœur, le cœur dans l’âme, et l’âme dans l’amour lui-même.

~ Rumi

 

Alors, les questions restent : Quelle est la véritable nature de ce cadeau ? Qui est le propriétaire de la douleur ? Quémander, résister sont-ils son seul composant ? Et que trouve-t-on au-delà de la souffrance quand elle est vue et comprise pour ce qu’elle est en vérité ? En dire davantage serait un pas trop grand, qui ne peut être appréhendé que par l’expérience, et qui ouvrirait sur la realisation de ce que nous sommes vraiment. “Comprenez bien que le mental a ses limites : pour aller au-delà, vous devez consentir au silence.” dit Nisargadatta.

Alors, comment est-ce possible ? La souffrance qui était là au début de mon périple, qui fut responsable de mon engagement sur le chemin spirituel, était le chemin vers une vie meilleure ? Cette douleur qui se répétait encore et encore, était l’appel ultime, le seuil même, la voie dorée vers la paix et le bonheur ? Tout ce temps, j’ai été occupé avec l’extérieur, avec le désir de fuir la situation douloureuse, enfermé dans ma conviction d’être séparé de la souffrance. Reste ! Cela se passe ici même, dans ce présent, dans cette fournaise, avec la souffrance qui m’a été octroyée. Il s’agit de dissoudre le mendiant en moi !

 

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Texte et photos : Alain Joly

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Invités sur cette page :
– Rumi
– Sri Nisargadatta Maharaj
– Jean Klein

Bibliographie :
– ‘La joie sans objet’, par Jean Klein (Éditions Almora)
– ‘Je suis’, by Sri Nisargadatta Maharaj (Editions Les Deux Océans)
– ‘Rûmî. La religion de l’amour’ (par Leili Anvar) – Éditions Points

Sites internet:
Rumi (Wikipedia)
Nisargadatta Maharaj (Wikipedia)
Jean Klein (Wikipedia)

 

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