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Car notre but n’était pas simplement l’Orient,
ou plutôt : notre Orient n’était pas seulement
un pays et quelque chose de géographique,
c’était la patrie et la jeunesse de l’âme,
il était partout et nulle part,
c’était la synthèse de tous les temps.

~ Hermann Hesse, “Le Voyage en Orient”

En hommage à Jean Biès,
Qui a écrit le plus beau livre qui soit
Sur cette splendeur qu’est l’Inde :
‘Les chemins de la Ferveur’

 

0989F318-C253-4EC0-8538-08FA96BD15A3L’Inde. Je suis parti un jour à sa rencontre et fus éclaboussé de son charme et de sa grâce. Quand je regarde en arrière, il apparaît que mon cheminement spirituel débuta comme un énorme cliché : je me suis rendu en Inde pour trouver la vérité, et je l’ai trouvée. Comprenez bien, je n’ai pas découvert un paquet de vérité soigneusement enveloppé, prêt à être entendu et vécu pour toujours par la suite. Non, j’ai plutôt trouvé une pile de perplexités et de questions infinies et confuses sur la nature de la vérité. Mais cela me fit une impression durable. Car enfin, cela m’apparut sous la forme d’une expérience d’éveil qui fut immense, exotique, absolue, mais de courte durée. Rien de moins pour ce petit bonhomme qui ne connaissait rien de la spiritualité et se réveilla de son premier voyage en Inde encombré d’un souvenir et d’une expérience qu’il lui faudrait une vie entière pour comprendre. Alors pourquoi ? Pourquoi, et comment l’Inde façonne-t-elle, non seulement ma vie, mais la vie de tant de personnes en matière de spiritualité ? Qu’est-ce qui vit là-bas qui est si puissant ? Essayons de le découvrir. Embarquons-nous pour un voyage en Bharata, que le Brahma-Purana décrit de la façon suivante : “Le continent sis au nord de l’Océan et au sud du Mont des Neiges s’appelle le Bhârata. Là réside la descendance de la tribu de Bharata. Sa largeur est de soixante-douze mille fois le chemin parcouru par un attelage. Terre où les actes fructifient pour ceux qui cherchent la délivrance.

Ne me méprenez pas, il n’est pas nécessaire d’aller en Inde pour trouver quelque chose qui est déjà notre nature la plus profonde et la plus intérieure. Beaucoup d’enseignants ont souligné que le lieu de la découverte de notre véritable nature est ici et maintenant, pas dans un avenir hypothétique ou dans un endroit particulier. Bien que cachée, la porte est grande ouverte en tout lieu, et toujours. L’Inde n’est pas plus exceptionnelle que l’endroit où vous vous trouvez en ce moment, et le seul voyage qui compte est celui en vous-même, qui est sans distance.

Alors, qu’est-il arrivé à ce petit bonhomme et à tant de ses frères et soeurs en spiritualité ? J’étais plein d’espoirs et d’attentes lors de mon premier voyage en Inde. Peut-être que c’est ce qui a été déterminant. J’avais fait de l’Inde cette terre sacrée et magique dont j’avais tant besoin. Nombreuses sont les personnes qui portent en eux une Inde rêvée quand ils atterrissent pour la première fois et beaucoup d’entre eux trouvent ce qu’ils étaient venus chercher, au moins dans une certaine mesure. Peut-être l’Inde a-t-elle une main magique, après tout. D’autres l’ont remarqué. L’écrivain français Jean Biès a écrit avec éloquence: “L’impression régnante en Inde est que tout est possible, y compris l’impossible, que tout possible surgira n’importe où, n’importe quand et n’importe comment, que tout ce qui dort et nage en suspension, très haut, dans un air raréfié, à mi-chemin entre ce qui est et n’est pas encore, peut s’informer en un éclair, s’incarner dans le cours des choses, harnaché des formes les plus baroques et inattendues. Comme, en ses entrailles, le silence recèle tous les sons et les mots de toutes les langues, le ciel de l’Inde enferme en lui, mêlés aux figures des nuages, tous les imprévus, toutes les péripéties, et surtout, le tonnerre de tous les coups de théâtre.

0154AA5E-0023-4E41-9F0D-444C1B8E1A0BLe petit bonhomme avait peur et était incertain. L’Inde est la terre des ashrams, par milliers, et l’endroit où il faut être quand il s’agit de compréhension spirituelle. Pourtant, j’avais décidé de ne pas me rendre en de tels lieux, ou auprès de quelque gourou, de rester simplement un touriste en Inde. Je ne voulais pas être influencé de quelque façon que ce soit. Dans mon coeur, je savais très bien pourquoi j’étais ici, mais à l’extérieur, je restais un simple voyageur, tout en gardant un œil sur l’Inde éternelle. Et qu’est-ce que j’ai vu ? L’Inde ne nous facilite pas le travail et présente devant nos yeux en premier lieu tout ce que nous n’étions jamais venus chercher : la pollution, le bruit, la saleté, les longues files d’attente, des “chaos de situations, des enchevêtrements d’occurences inextricables“, comme l’écrit Jean Biès. Sans parler de l’extrême pauvreté, dont nous sommes le témoin douloureux, et du choc culturel qui est énorme et durement ressenti. Peut-être que c’est là la force de l’Inde. Elle se présente à vous par le prisme d’un labyrinthe de difficultés et de complexités, et vous vous sentez troublé, agacé, perdu, et vulnérable. Si vulnérable que vous lâchez prise, que votre résistance se dissout, vous permettant de voir comme par une porte laissée ouverte.

Alors, où est notre petit bonhomme maintenant ? Que l’Inde lui a-t-elle encore enseigné ? Après les premières émotions passées, la dure rencontre avec l’Inde et sa folie s’étiole finalement. Une tranquillité émerge, et l’Inde se répand, prend possession de vous, montre son visage, lentement, inévitablement. Quels sont ses outils pour le faire ? Comment l’endroit le plus mouvementé et le plus tintamarresque au monde peut-il, en son cœur, renfermer une telle paix, une si profonde tranquillité ? C’est comme si l’Inde réelle n’était point troublée ou affectée par les rugissements de sa vie quotidienne, tout comme l’espace n’est pas affecté par ce qui se passe en son sein. Ce sont des qualités – cette acceptation, cet abandon à ce qui est – qui sont proches de celles que nous trouvons dans la conscience pure. L’Inde est un grand oui ! Voilà ! C’est bien ça : L’Inde se rend constamment aux vicissitudes de son quotidien. Et c’est là une exigence essentielle pour la paix.

Cet abandon, cette détente dans la manière d’être, imprègne la vie quotidienne de l’Inde. Et cela peut être contagieux. Le petit bonhomme, quoique anxieux et nerveux par nature, le ressentait. Je me souviens que, petit à petit, cela avait atteint jusqu’à ma façon d’être, de voyager à travers le labyrinthe de ce pays. Je devenais inhabituellement détendu et confiant, même si j’étais seul, menant mon bateau dans cet océan qu’est l’Inde. Comme l’a dit Jean Klein: “Dans l’état détendu, se trouve l’amour, se trouve la bonté. Vous vivez davantage dans le présent, libre du devenir, de l’anticipation.

E0676970-4C05-42C4-843A-CF5C8B921FB6Une autre condition essentielle à la quête est la compagnie de personnes ou d’amis sur le chemin. Ceci, le petit bonhomme ne l’avait pas compris, lui qui fuyait tout ce qui pouvait ressembler à un groupe d’étudiants réunis autour d’un maître. Mais là encore, l’Inde avait trouvé d’autres moyens d’accompagner sa quête solitaire. Cette société, qui fut jadis construite autour de la recherche de la vérité, a inventé de nombreux mécanismes, ou cadres humains, pour progresser dans cette voie. La possibilité de renoncer au monde en est un. La présence, dans l’Inde entière, de ces personnes habitées de spiritualité pouvait se voir comme une main invisible soutenant la destinée de tout chercheur de vérité égaré, tel que le ferait un filet immense. “Ce filet porte en ses résilles des centaines de villes saintes, des milliers d’ermitages, sanctuaires et piles de sacralité, comme autant de joyaux d’une pêche miraculeuse. Il enveloppe l’Inde entière des palpitations de sa houle.“, explique Jean Biès. “Outre une superficie et une solidité peu communes, il présente la curieuse caractéristique d’être noué de mailles humaines : anachorètes des montagnes, guru inaperçus au fond des villages de palmes, mendiants sacrés, sannyâsîn, yogîs et sâdhu, les plus étranges créatures au royaume d’humanité, dont la présence errante tisse et tend sur cette terre ce filet de prière et de bénédiction.

Il existe une autre caractéristique importante qui fait de l’Inde un berceau d’investigation et d’investissement spirituels. Il est à rechercher dans la nature même de sa pratique religieuse. L’écrivain et l’historien Amaury de Riencourt nous donne cette explication : “En Inde, le sentiment religieux était entièrement mystique, comme cela est tout à fait naturel à un peuple dépourvu de sentiment pour le passé ou l’avenir, et qui ne cherche qu’à sublimer le moment présent en une immortelle intemporalité. En Inde, religions et philosophies n’étaient concernées que par l’éternité.” Cette expression intemporelle de l’Inde est souvent ressentie pendant le voyage. Elle imprègne votre façon d’être et est expérimentée comme un sentiment profond de liberté. Tout le monde le ressent, notre petit bonhomme aussi, lui dont la trajectoire était maintenant infusée par ce sentiment. C’est ce que les hippies aimaient tant quand ils partaient pour Goa, Bénarès ou Katmandou. Comme ils aimaient également ce mysticisme qui fait tellement partie de Inde, et qui est, au fond, l’expression de sa compréhension ancestrale et éternelle de la nature de l’expérience. Les adeptes du Flower Power se sentaient tellement emprisonnés par les vieilles structures de l’Occident. Bien sûr, l’Inde n’avait rien à leur offrir sur le long terme, mais au moins pouvaient-ils goûter ici à leur propre nature cachée.

609AD9B6-F361-42D6-9000-A1BDC2DBE19BÀ la fin de ce voyage en Bharata, je me rappelle d’une phrase du livre de Jean Biès : “À qui voyage en Inde en lui apportant sa confiance, l’Inde répond par la confiance et révèle des trésors cachés.” Peut-être que c’était là ce qu’avait fait notre petit bonhomme. Il avait plongé dans les eaux déconcertantes de l’Inde avec confiance, innocence, et s’était en récompense fondu dans sa présence, qui n’est rien d’autre que le Soi éternel et infini. Les mendiants le comprennent bien qui interpellent parfois les passants, hommes compris, par Mâ, ‘mère’, démontrant ainsi qu’ils ne s’adressent pas à la personne qu’ils voient, mais à la déesse en eux, ou devrais-je dire, à la présence ou conscience pure qu’ils ont en partage. Petit à petit, l’Inde avait maintenant relâché son emprise sur moi. Non soutenus par une compréhension profonde, ces hauteurs spirituelles s’étiolèrent. Les vieilles habitudes dualistes réapparurent et je me retrouvai pris dans mes anciens schémas, renvoyé sur la terre ferme des croyances et dans le confort de ma séparation. Le parfum seulement resta, pendant plusieurs mois, jusqu’à ce qu’il s’évanouisse complètement à l’arrière-plan, comme un puissant animal endormi.

De retour à la maison, l’Occident m’offrit encore un autre point de vue. Le monde ici manquait de profondeur, il semblait plat, superficiel, insipide. Il se révélait impatient, rapide, efficace. Je ressentis un autre choc culturel en retour, en voyant toutes ces maisons bien rangées et ces aires de stationnement quadrillées, cette société parfaitement organisée. En contraste, je me demandais pourquoi l’Inde était si distante et négligente sur tout ce qui était ‘extérieur’, sur ce qui concernait le monde ordinaire des formes. Imprégnée de la sagesse et des philosophies de son passé glorieux, influencée par l’héritage puissant de ses illustres ancêtres, l’impression est qu’elle est restée dans la position du témoin, du “neti neti“, du “je ne suis ni le corps, ni l’esprit”. La passion de l’Inde pour l’exploration intérieure l’enveloppa toute entière et changea à tout jamais sa vision du monde.

Aujourd’hui, l’Inde montre ses merveilles au monde. Comme le dit Jean Biès : “Le seuil s’entrouvre : déjà resplendit l’intérieur du palais.” Le moment viendra où le monde sera émerveillé de l’héritage indien, de son cadeau spirituel au monde : des religions y sont nées, comme le bouddhisme – le cadeau de l’Inde au reste de l’Asie -, d’innombrables enseignants, philosophies, Vedas, Puranas, Gitas, Upanishads, Shastras, Sutras, techniques comme le yoga, etc… L’Inde a exploré la pratique spirituelle de toutes les manières possibles, développant les trois voies différentes vers la vérité, Jnana, Bhakta et Tantra. Alors, quel est le secret de l’Inde ? Et qu’est-ce que notre petit bonhomme a appris de ses mystères, lui qui venait d’un monde se complaisant dans les objets et qui rencontra une terre absorbée par la contemplation de la vérité. Dans ces deux mondes, la beauté, l’amour et l’intelligence, qui sont les qualités inhérentes à la conscience pure, n’ont pas encore pleinement éclos. Sauf pour ce lieu d’infinitude, ce centre d’être intemporel, qui réconcilie les deux mondes. Le petit bonhomme en avait eu un éclatant aperçu.

 

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Texte et photos de Alain Joly

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Invités sur cette page :
– Hermann Hesse
– Jean Biès
– Jean Klein
– Amaury De Riencourt

Bibliographie :
– “Les Chemins de la Ferveur” – de Jean Biès – (1995, Éditions Terre du Ciel)
– “Littérature française et pensée hindoue des origines à 1950” – de Jean Biès – (Librairie C. Klincksieck)
– ‘Le Voyage en Orient’ – de Hermann Hesse – (Calmann-Lévy)
– ‘L’Âme de l’Inde – de Amaury de Riencourt – (Éditions L’Âge d’Homme)
– ‘Être : Approches de la non-dualité’ – de Jean Klein – (Éditions Almora)

Sites internet :
Hermann Hesse (Wikipedia)
Jean Biès
Amaury de Riencourt (Wikipedia)
Jean Klein (Wikipedia)

Mon site sur l’Inde

 

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